Livres indisponibles : l'Europe condamne ReLIRE et sa numérisation
Nicolas Gary - 16.11.2016
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La directive sur le droit dauteur soppose à une réglementation nationale autorisant la reproduction numérique des livres indisponibles dans le commerce en méconnaissance des droits exclusifs des auteurs. Cest ce que la Cour de Justice de lUnion européenne a considéré dans larrêt de laffaire C-201/15. Une telle réglementation doit garantir la protection assurée aux auteurs par la directive et veiller en particulier à ce quils soient effectivement informés de lexploitation numérique envisagée de leur uvre tout en ayant la possibilité dy mettre fin sans formalités.
En France, les « livres indisponibles » sont
définis comme les livres publiés avant le 1er janvier 2001 et
qui ne sont plus diffusés ni publiés sous une forme imprimée
ou numérique. Selon la réglementation française, une société
agréée de perception et de répartition des droits, la SOFIA,
est chargée dautoriser la reproduction et la communication
sous forme numérique des oeuvres indisponibles, étant entendu
que les auteurs ou ayants droit de ces livres peuvent sopposer
ou mettre fin à lexercice de ces droits dans certaines
conditions.
Deux auteurs français (Marc Soulier, plus connu sous le nom dAyerdhal
et décédé entre-temps, et Sara Doke) ont demandé lannulation
dun décret précisant certains aspects de cette réglementation,
considérant quil nest pas compatible avec la
directive sur le droit dauteur1. En particulier, ces
auteurs soutiennent que la réglementation française institue
une exception ou une limitation non prévue aux droits exclusifs
garantis aux auteurs par la directive. Saisi de laffaire,
le Conseil dÉtat français interroge la Cour de justice à
ce sujet.
Numérisation de livres : ReLIRE hors la loi, pour avoir méprisé les auteurs
Par arrêt de ce jour, la Cour
rappelle que, sous réserve des exceptions et des limitations
expressément prévues dans la directive, les auteurs ont le
droit exclusif dautoriser ou dinterdire la
reproduction et la communication au public de leurs uvres.
Elle estime toutefois que le consentement préalable dun
auteur à lutilisation dune de ses uvres peut,
dans certaines conditions, être exprimé de manière implicite.
Pour que lexistence dun tel
consentement soit admise, la Cour considère, en particulier, que
chaque auteur doit être informé de la future utilisation de son
ouvre par un tiers et des moyens mis à sa disposition en vue de
linterdire sil le souhaite.
Or, la réglementation française prévoit, en létat
actuel des choses, que le droit dautoriser lexploitation
numérique des livres indisponibles est transféré à la SOFIA
lorsque lauteur ne sy oppose pas dans un délai de
six mois à compter de linscription de ses livres dans une
base de données établie à cet effet, la Cour relevant à cet
égard que le Conseil dÉtat na pas indiqué que
cette réglementation comportait un mécanisme garantissant une
information effective et individualisée des auteurs.
Il nest donc pas exclu, selon la Cour,
que certains des auteurs concernés naient pas connaissance
de lutilisation envisagée de leurs uvres et
quils ne soient par conséquent pas en mesure de prendre
position sur celle-ci.
Dans ces conditions, une simple absence dopposition de leur
part ne peut pas être regardée comme lexpression de leur
consentement implicite à lutilisation de leurs uvres,
dautant plus quil ne saurait être raisonnablement
présumé que, à défaut dopposition de leur part, tous
les auteurs des livres « oubliés » sont favorables à la «
résurrection » de leurs uvres en vue de
lutilisation commerciale de celles-ci sous une forme
numérique.
La réforme européenne du droit d'auteur ne permet pas de légitimer ReLIRE
La Cour ajoute que la poursuite de lobjectif visant à
permettre lexploitation numérique de livres indisponibles
dans lintérêt culturel des consommateurs et de la
société, bien que compatible en tant que tel avec la directive,
ne saurait justifier une dérogation non prévue par le
législateur de lUnion à la protection assurée aux
auteurs par la directive.
Par ailleurs, la Cour relève que la réglementation française
permet aux auteurs de mettre fin à lexploitation
commerciale de leurs uvres sous forme numérique en
agissant soit dun commun accord avec les éditeurs de ces
uvres sous forme imprimée soit seuls, à condition
toutefois, dans ce second cas, de rapporter la preuve quils
sont les seuls titulaires de droits sur ces uvres.
La Cour déclare à cet égard que le droit de lauteur de mettre fin pour lavenir à lexploitation de son uvre sous une forme numérique doit pouvoir être exercé sans devoir dépendre de la volonté concordante de personnes autres que celles autorisées à procéder à une telle exploitation numérique et, partant, de laccord de léditeur ne détenant que les droits dexploitation de luvre sous une forme imprimée. En outre, lauteur dune uvre doit pouvoir mettre fin à lexercice des droits dexploitation de cette uvre sous forme numérique sans devoir se soumettre au préalable à des formalités supplémentaires.
Nous reviendrons sur cette information dans un prochain article.